lundi, 30 juin 2025 19:13

Élection des juges - la réforme qui divise

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Système  judiciaire Système judiciaire Photo: pixabay

Le député Vincent Jeanbrun propose une réforme majeure dans son plan pour « réparer les quartiers et rétablir la République » : l’élection des juges du siège. Cette mesure, défendue comme un outil de responsabilisation, suscite une opposition ferme de la part des syndicats de magistrats. Enjeu principal : l’indépendance de la justice.

Voici les points clés du débat :

  • Une proposition issue d’un traumatisme personnel

  • Une contestation fondée sur l’histoire judiciaire française

  • Des risques de dérives liés au financement politique ou criminel

  • Des alternatives proposées par les syndicats professionnels

Vincent Jeanbrun et la réforme du lien entre citoyens et justice

Vincent Jeanbrun, député du Val-de-Marne et maire de L’Haÿ-les-Roses, a dévoilé fin juin un plan de 36 pages contenant une vingtaine de propositions. Ce projet fait suite à l’attaque à la voiture-bélier dont il a été victime après les émeutes consécutives à la mort de Nahel en 2023. Dans ce contexte, il entend rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions républicaines. Il propose que les juges du siège soient élus, à l’image de pratiques observées dans d'autres pays comme le Japon, la Suisse ou les États-Unis.

Selon lui, cette élection permettrait de juger non pas sur des bases politiques, mais sur la capacité des magistrats à rendre une justice « juste, rapide, compréhensible, humaine ».

Les réserves de Ludovic Friat et les précédents historiques

Ludovic Friat, président de l’Union syndicale des magistrats (USM), qualifie cette mesure de « fausse bonne idée ». Il rappelle que l’élection des juges avait déjà été testée pendant la Révolution française en 1790. Abandonnée en 1802 avec l’arrivée de Napoléon Bonaparte, cette expérience est jugée inefficace. De même, les juges de paix non professionnels – en fonction jusqu’en 1959 – ont été supprimés en raison de leur manque de rigueur et de formation.

Pour Friat, la justice repose sur un savoir-faire technique, juridique et éthique. Une élection pourrait nuire à l’indépendance nécessaire aux magistrats pour trancher en toute impartialité.

Les risques de corruption et de perte d’autonomie

Le président de l’USM met également en garde contre les tentatives d’influence des narcotrafiquants ou de partis politiques. Il souligne que, dans des affaires sensibles, un juge élu pourrait hésiter à s’opposer aux intérêts de ses électeurs ou de ses soutiens financiers.

Il cite l’exemple de Silvia Delgado au Mexique, récemment élue juge après avoir défendu Joaquin « Chapo » Guzman, pour illustrer les dérives possibles. D’après lui, une telle ouverture pourrait devenir une opportunité stratégique pour le crime organisé, désireux d’infiltrer les institutions.

Les contre-propositions du Syndicat de la magistrature

Judith Allenbach, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), rejette également l’élection des juges comme solution. Elle plaide pour un renforcement de la responsabilité des magistrats sans passer par les urnes. Elle insiste sur deux problèmes majeurs : la perte d’indépendance vis-à-vis des partis et le risque d’affaiblissement de la compétence professionnelle des juges.

Parmi ses propositions concrètes figurent :

  1. Doubler le nombre de magistrats formés pour accélérer les décisions.

  2. Renforcer la participation citoyenne dans la justice criminelle.

  3. Moderniser les infrastructures pour garantir un accès rapide et gratuit à la justice.

Elle conclut que, sans investissements pérennes dans les moyens humains et matériels, la justice ne pourra ni protéger efficacement ni apaiser les tensions sociales. L’élection des juges ne saurait pallier ces lacunes structurelles.

Une réforme sous haute tension

La proposition de Vincent Jeanbrun révèle une fracture entre volonté politique et réalité du monde judiciaire. Les syndicats alertent sur les risques d’une réforme précipitée, inspirée de modèles étrangers peu compatibles avec le contexte français. Le débat met en lumière une justice fragilisée, en quête de moyens plus que de bouleversements institutionnels.

Source: 20Minutes